
« Nous avons inventé le filet de but de hockey ». C’est ce qu’a écrit Frank S. Stocking dans ses mémoires vers la fin de sa vie. C’était en 1953 et il avait alors 80 ans.

On a souvent attribué l’ajout d’un filet aux poteaux des buts à ce gardien de but et à ses amis, membres du club de hockey Québec. Sans le filet et la barre horizontale, les buts controversés se multipliaient et Québec avait l’impression d’être souvent du mauvais côté de la décision. Ça fait longtemps que le syndrome « Alain Côté » existe à Québec…
Un article du Montréal Gazette du 8 mars 1935 rapporte une version qui tend à justifier l’affirmation de l’ex-gardien de but Frank Stocking. Selon le texte, Stocking, las des controverses autour de cet aspect du jeu, fabrique en 1897 une cage d’acier au Québec and Lake St John Railway Shops en compagnie de certains coéquipiers (dont certainement le défenseur Charles Scott). Selon l’article, ils apportent leur invention à l’assemblée générale de la ligue qui adopte le concept.
Or, ce dernier passage est certainement inadéquat.
Même s’il est annoncé depuis quelques semaines, ce qu’on appellera le « filet de Québec » n’est pas proposé avant le 10 décembre 1898 à l’assemblée annuelle de l’AHAC. Frank Stocking et 3 autres membres du Club de hockey Québec tente de vendre leur idée. Hélas ou heureusement, la proposition a été très mal reçue, rapporte le Montréal Star.
Imaginez : au lieu des traditionnels poteaux, un trou de 4’’ x 6’’ est percé dans la bande pour y laisser passer une cage munie d’un filet d’une profondeur de 3 pieds tendu par derrière. Pour ajouter au charme, l’illustration laisse sous-entendre que la bande est inclinée !
Vrai, cette innovation allait permettre d’éliminer les controverses quant à la légitimité des buts. Toutefois, on lui reproche plusieurs irritants qui dénaturent le sport, comme le jeu derrière et autour des poteaux et la relance offensive. Ce filet ne sera jamais adopté, ni essayé de façon officielle. Il aura toutefois le mérite de s’attarder à la prochaine révolution du sport depuis l’adoption de la rondelle.
Le filet existe déjà.
À la fin du 19e siècle, le hockey sur gazon, le soccer et la crosse utilisent déjà des filets. Un autre sport sur glace, le ice polo (du « hockey-balle » pratiqué aux États-Unis avant l’arrivé du hockey) a déjà un filet. Frank Stocking et les joueurs de Québec en ont possiblement vu lors de leur démonstration à Baltimore en 1895.
On retrace l’utilisation sporadique d’un filet de pêche drapé entre les poteaux à Niagara-on-the-lakes dès 1896. La Southern Ontario Hockey League (SOHA) adopte officiellement le filet le 15 décembre 1898, 5 jours après la proposition de Stocking. Toutefois, certains articles témoignent que leur filet n’est pas fixé à la glace mais plutôt pendant comme un drap au dessus de la surface glacée pour ainsi permettre encore la passe par derrière, si précieuse aux puristes du sport.
Québec propose de nouveau l’année suivante son filet lors de la rencontre annuelle de la CAHL, le 9 décembre 1899. Le club dit avoir demandé au Québec Skating Rink d’être prêt à l’installer car à défaut de convaincre l’assemblée, il fera en sorte d’en faire la démonstration lors d’un match pré-saison contre une formation Montréalaise. Une motion de Québec sera finalement acceptée : il y aura une rencontre-démonstration entre les Victorias et les Shamrocks à Montréal.
Sans trop savoir de quel filet il s’agit, certains quotidiens reproduisent encore le « filet de Québec » dont le Montréal Daily Star. La confusion est telle que l’Ottawa Journal avance même que le match utilisera les 2 types de filets, celui de la SOHA d’un coté et le « Québec » de l’autre.
Il n’en sera rien. Le 30 décembre 1899, Shamrocks et Victorias utiliseront une version « améliorée » du filet « ontarien » avec une barre horizontale en métal en forme de U, 6 pouces derrière les barres verticales. Le filet est y accroché et fixé sur la glace par des patères. La démonstration convainc la presse, quoique certains inconvénients sont aussi soulignés dans la Patrie : « Les attaquants ne pourront plus faire des passes à travers les buts ni glisser le puck à leurs coéquipiers devant : un détour est rendu nécessaire. Le jeu se trouve gâté sous ce rapport mais si l’adoption des filets met fin pour jamais aux disputes ce sera toujours un bon point de gagné »
Satisfait de son utilité, un comité recommande l’adoption du « filet de Montréal ».
Québec accueille son premier match « avec filet » le 13 janvier contre Ottawa. La Patrie rapporte que ces derniers jouent ce match sous protêt, insatisfait de sa conception. Selon l’historien Paul Kitchen, le filet utilisé à Québec possède alors une barre horizontale fait d’une corde tendue, sans doute pour amoindrir les risques de blessures. Après tout, pendant plus de 20 ans, les joueurs ont traversé la zone des buts sans obstacles. D’autres adaptations sont tentées: Ces mêmes Ottawas remplacent la barre d’acier par une bande de caoutchouc.
Les craintes écartées, la barre de métal est de retour dans les semaines qui suivent et le filet est désormais appuyé au sol par un demi-cercle métallique profond de 2 pieds. Il sera ainsi fait jusqu’en 1911, au moment ou Percy Lesueur, un joueur natif de Québec ramène la barre horizontale sur les verticales, comme aujourd’hui.
S’il est présomptueux de prétendre que Frank S. Stocking a inventé le filet moderne, il est juste d’avancer qu’il a été le premier à le défendre au sein de la meilleure ligue. Les quotidiens Montréalais féliciteront le Québec Hockey Club pour avoir insisté sur cette nécessité.
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